Le navire Amiral

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Le petit royaume de la lecture




C'est un souvenir d'enfance, la rivière était haute de plusieurs mètres et son lit qui débordait recouvrait tous les champs alentours.
Juste derrière la vielle ferme, on avait rassemblé quatre gros bidons en fer, vides, on les avait assemblés avec des planches et de la ficelle, au fur et à mesure de la construction du radeau, on se transformait nous-même en aventuriers, probablement plus excités par cette construction qu'aventuriers.
Lancé sur la rivière qui déborde, on allait très prudemment d'arbre en arbre en faisant attention de ne pas se laisser prendre par le courant qui était très fort et nous aurait rapidement entrainé très loin, dans des situations périlleuses et dangereuses. Sous un arbre, l’un de nous grimpa à une branche rendue facilement accessible et on fit mine de l'abandonner en éloignant le radeau pour revenir ensuite le chercher, la peur avait fait naitre la prudence. C'était un jour rare ou la rivière a débordé comme jamais auparavant, un jour de grande inondation, un jour de découverte, de rêve et de liberté. C'était aussi beaucoup d'insouciance, un peu d'inconscience mais une formidable opportunité d'éveil, elles étaient rares.
C'était ma première navigation, les autres furent familiales sur le petit canot gonflable obtenu en faisant des pleins d'essence. Il y a aussi ce tout petit voilier à coque pleine en bois de couleur jaune avec lequel j'ai beaucoup joué...
A des centaines de kilomètres de là, une autre bande de jeunes qui grandissaient en bord de mer s'aventuraient également sur l'eau, en mer, pas très loin.
Ils ont tous grandi en bord de mer. Tous ont de la famille qui possède un bateau, gros ou petit, modeste ou pas, pécheur, marin de commerce, voileux, ouvrier dans la royale, ces enfants savent ce qu'est un bateau, le monde la mer et la plupart d'entre eux possèdent des rudiments solides, des précautions à prendre, des réflexes à avoir, des préparatifs à faire lorsqu'on s'aventure en mer.
Leur monde est malgré cela, limité aux petites embarcations, c'est la loi des parents.
Les petites barques, canots, caravelles et vieux bateaux abandonnés formaient leur flotte et étaient leur propriété. Il n'était pas question de mettre cette possession en doute, ce qui, pour bon nombre d'entre eux, les plaçait d’ores et déjà en position de monopole, d'exclusivité et de non partage, cela valait pour le voisinage et plus encore pour les étrangers, personnes qui résidaient à plusieurs dizaines de kilomètres...
L'usage de n'importe laquelle de ces embarcations représentaient déjà une belle somme de connaissance.
Personne n'est jamais allé les contrarier à ce sujet. Pourquoi et comment interdire à des jeunes qui habitent au bord de l'eau, qui plus est, un port de pêche, de ne pas s'aventurer en mer ?
Plus les années passaient et voyaient ces enfants devenir adolescents, plus leurs tâtonnements devenaient de l’expérience.
C'etait un weekend qui ressemblait à de nombreux autres.
Riri et son frère prenaient la barque de leur père, plusieurs caravelles suivaient régulièrement et il y avait Pen ar bed, notre cornu, tout neuf, ou chacun avait trouvé sa place, son poste naturel, choisi au fil des sorties. Yann allait préparer la grand-voile et se tenait au pied du mat, Ken à la voile d'avant, foc, génois et tourmentin étaient son domaine Loïc à la barre, Drev, sans commander, regardait tout le bord, rangeait, était attentif à toutes les manœuvres et au besoin apportait des conseils, il surveillait également tous ceux qui nous suivaient, Kerpri dirigeait toutes les manœuvres, tout cet équipage, Loic faisait la barre et le moteur. La gouel s'occupait des repas. D'autres montaient à bord également, c'était beaucoup selon les envies du moment.
Chaque poste sur un bateau est important et tous ignoraient ce que pouvait être le pouvoir, le commandement ou l'obéissance, pourtant il y avait à chaque poste un futur jeune marin déjà expérimenté et personne ne mettait en cause cet ordre établi, même s'il est arrivé quelquefois qu'il soit modifié, ni ce savoir-faire.
Avant d'arriver, selon la marée et selon la météo, le choix des voiles et de la route pour aller là où on voulait aller étaient fait, il n'y avait pas d'improvisation qui aurait pu s'apparenter à du tourisme.
Dans ces bandes, comme ailleurs, il y avait des prudents, des plus hardis, des inconscients, des responsables, tout ce qui fait un microcosme, et énormément de bonne humeur.
C'était une belle journée d'été, à cet instant de ce début de matinée, au-dessus des rochers de la côte, le soleil qui était déjà haut dans le ciel, nous réchauffait agréablement, quelques nuages blancs étaient présents dans un ciel clair. La journée s'annonçait très belle et c'est ce qu'avait dit la météo consultée avant de partir.
Le vent léger soufflait du sud-ouest. La barque était déjà à l'eau, Riri et son frère tiraient fort sur les avirons pour s'éloigner, une caravelle arrivait suivie d'une autre, un petit canot avec son mat fit également son apparition, tous sortaient du port et se dirigeaient vers la pointe ou on pouvait facilement se regrouper et décider ensemble de ce qu'on allait faire. Pen ar bed, voiles affalées, les attendait.
A chaque fois qu'un bateau était en vue, on s'appelait et on se faisait de grands signes.
Dès qu'un bateau était assez près, on lui envoyait un bout et tous ensemble on passait d'un bord à l'autre dans un beau bazar et dans une bonne ambiance. Les équipages étaient modifiés entre les arrivées et les départs, certains préféraient naviguer ensemble, des affinités s'étaient créées. Des pare battage étaient mis en place pour protéger les coques.
On se servait de tout ce qu'on trouvait dans Pen ar bed, cela valait pour les cordages jusqu'à la vaisselle. Dès que Riri et sont frères furent arrivés, leur barque fut prise en remorque et ils montèrent à bord.
Ou est Fanch ?
A la messe avec ses vieux.
Un peu plus tard, une autre barque fut également prise en remorque.
Deux caravelles, quatre barques dont deux avec des voiles et Pen ar bed constituaient notre flotte.
Pour cette sortie, la décision avait été unanime, on irait à la petite plage de l'ile Guernic.
L'ile Guernic n'était pas très éloignée, on voyait sa grande plage située au sud-ouest se découvrir à marée basse, cela la rendait attirante et il n'était pas rare de voir un voilier de plaisance au mouillage, échoué ou sur béquilles pour la journée. Notre plage était à l'opposée, c'était une grève plus qu'une plage, composée en partie de galets et de gros grains de sable mais on y était parfaitement à l'abri des vents dominants, il y faisait plus chaud et aucun bateau n'y venait jamais parce qu'il fallait contourner l'île qui était toute en longueur et qui cachait des hauts fonds qui s'étendaient très loin et obligeait deux bonnes heures de navigation supplémentaire. L'ile était petite mais même les rares personnes qui débarquaient sur l'île, n'allaient de ce côté qui semblait comme protéger par quelques blocs de granit posés au milieu d'une végétation, dense, basse, touffue, qui bloquait tout progression pédestre à ceux qui ne connaissait pas les lieux. Nous connaissions tous l'île comme notre poche et on en faisait le tour rapidement. Elle était un de nos terrain de jeu favoris en été.
Les deux caravelles étaient les plus rapides et pouvaient tailler la route presqu'en ligne droite jusqu'à notre repaire, pour Pen ar bed, l'allure était plus lente. Les deux barques étaient en remorque et l'ambiance à bord, était joyeuse. Les barques voilées allaient lentement et avaient beaucoup de mal à nous suivre, c'était même impossible, on n'hésitait pas à choquer les voiles pour ralentir l'allure jusqu'à ce qu'elles nous aient remontés.
Après une petite heure de route, les caravelles revenaient vers nous à bonne allure pour nous accompagner jusqu'à l'arrivée. Leurs équipages étaient baptisés: Voileux de compétition.
Il fallait toujours aller plus vite et tous les réglages optimisés pour obtenir la meilleure allure.
Sur Pen ar bed, c'était plutôt la tranquillité et la pèche qui nous intéressaient. Pour d'autres ça n'était que le plaisir de se promener en mer. On y trouvait tous son compte.
La gouel avait rassemblé toute la nourriture rapportée et s'occupait de faire l'inventaire de tout ce qu'il y avait et le rangeait.
-Elle est toujours là celle-là. Dit Kerpri en voyant la petite sainte vierge fixée au bas du mat dans la cabine.
-C'est mon père qui l'a mise et je ne pense pas qu'il serait content si on la retirait.
-Connerie humaine ces croyances en ces religions. On est des animaux, soi-disant intelligents, rien de plus.
Puis il ajouta :
-Enfin, intelligents, ça se discute...
Certains d'entre nous avaient des parents profondément croyants. C'en était parfois stupide. Il n'était pas rare de voir l'un d'entre nous faire un signe de croix devant un calvaire ou devant tout ce qui pouvait lui inspirer une certaine frayeur religieuse.
Sur l'ile se trouvait un très vieux calvaire qui, d'après nous, remontait à l'antiquité et à qui nous nous obligions à avoir du respect, comme un besoin, une référence, juste à côté de ce calvaire, quelques blocs de granit disposés d'une certaine façon. Pour nous ils étaient le témoignage de la présence de nos ancêtres dont nous étions les dignes héritiers. Certains, là encore, y voyaient une trace religieuse. Je préférais y voir la trace d'un Hermite, d'un sage.
Tous, nous nous trompions, on apprendra plus tard que ces quelques morceaux de granit avaient été ramené et rassemblé à cet endroit par nos pères qui à nos âges faisaient les mêmes traversées.
Ils étaient allés sur l'ile et un Week end, le mauvais temps les ayants surpris, ils avaient été obligés d'y rester, pour se réchauffer ils avaient construit une sorte de petit abri, four, pour essayer de faire un feu dans la tempête, sous une pluie battante et un vent de nord. Les blocs avaient été ramenés de divers endroits de l'ile qui était complètement inhabitée depuis que la dernière maison de chaume était tombée en ruine et avait été abandonnée ainsi que le calvaire qui visiblement n'a protégé personne ni rien que lui-même.
Il est clair finalement qu'on voit en toute chose ce qu'on a envie d'y voir, c'est un reflet de notre éducation ou c'est peut être instinctif, qui sait?

La côte était loin derrière nous, la pointe nord Est de l'île défilait sur notre bâbord. Il fallait prendre au large pour être certain d'éviter un écueil. Les caravelles allaient, coupant à travers les roches, ce qui n'était guère prudent mais on était si sûr d'avoir raison, de tout connaitre et que l'île nous appartenait.
On était Amphitrite, Neptune, Poséidon, Isis, Thétis et nous-même.
Nous avions beaucoup de mal à faire remonter les grosses barques au vent.
Le soleil était chaud mais l'air frais au niveau de l'eau. Kerpri dit à tout le monde qu'on irait se mettre au mouillage plutôt au nord de la plage, à l'abri des vents qui devait forcer un peu en fin d'après-midi.
On voyait notre lieu de mouillage se rapprocher doucement. Les barques avaient sorti les avirons pour s'aider. Une caravelle s'en était rapprochée et leur avait passer un bout pour les tirer. Le bout était tenu à bout de bras, le vent était faible et c'était quelque fois la caravelle qui reculait ce qui nous faisait bien rire, les barques avaient une masse énorme.
Pen ar bed était au mouillage avec ses béquilles par précaution, toutes les autres embarcations qui allaient au plus près, s'échouaient mollement sur la grève. Les caravelles restaient à l'eau plus loin pour permettre de les utiliser. Un simple bout sur l'arrière de Pen ar bed les sécurisaient. Il n'y avait plus de vent lorsqu'on arriva.
On est bien à l'abri ici. Dit Kerpri qui regardait tour à tour chacune des embarcations.
Drev ajouta qu'on voyait des risées au loin après la pointe sud-ouest. On tourna la tête pour regarder puis, tous ensemble, on décida d'aller à terre.
La gouel nous demanda de l'aider à descendre ses sacs de provisions et de boissons. On se poussait à l'eau, on chahutait.
C'était sans que l'on s'en rende compte, des journées merveilleuses, les journées de notre meilleure enfance. On était trop grand pour être des enfants mais pas encore assez pour être des adultes.
On le savait, peut-être, inconsciemment, que bientôt il nous faudrait affronter la même vie que nos parents.
Qui fait le tour de l'île avec moi ? Demanda riri. Yann alla avec lui, ils disparurent rapidement derrière des rochers. Certains étaient repartis sur les caravelles qui se dirigeaient vers les risées aperçues pour prendre le vent. Les autres étaient partagés entre plage et discussions. Kerpri était resté à bord et faisait du ménage sur Pen ar bed. Il n'aimait pas voir le bateau en désordre et, de son père il tenait l'ordre, chaque chose avait une place et chaque chose devait être à sa place, plus encore sur un bateau que n'importe où ailleurs. C'est ce à quoi il pensa en récupérant quelques boulons et des rondelles qui avaient glissés sur les fonds.
Ça suffirait à boucher la pompe de cale, pensa t'il.
Il rejoignit la plage quand tout fut en ordre, les voiles rangées, le long des filières, les garants des béquilles furent repris, raidis, les écoutes lovées, les cabine et cockpit rangés et propres.
Saute, vas-y, saute, elle est bonne. Trop frileux, il descendit doucement dans l'eau jusqu'à toucher le fond puis rejoignit la plage en marchant.
Deux équipes de foot s'étaient formées et le jeu dura longtemps. Il n'y avait ni vaincu ni vainqueur, c'était juste ce besoin de faire partie de quelque chose, là, c'était une équipe de foot, une heure avant c'était faire partie d'un équipage mais nous n'avions pas tous ce besoin puisque Riri et Yann étaient partis faire le tour de l'île seuls. Ils partageaient les mêmes envies, sentiments. Les deux caravelles s'étaient mises à couple de Pen ar bed et les équipages nous avez rejoint, les équipes de foot étaient maintenant trop grosses pour le peu de place dont nous disposions sur la grève. Riri et Yann arrivèrent bientôt et dès leur arrivée on arrêta le foot et tout le monde se rua sur gouel pour lui demander à manger et à boire. Le repas rapidement englouti, la même question fusa de chacun d'entre nous : Que fait-on maintenant ?
On peut refaire un tour de l'ile, il n'y a que deux bateaux au mouillage et personne sur la plage. Dit Yann. La plupart d'entre nous partirent pour ce tour d'île, les caravelles reprirent la mer et d'autres restaient sur place pour ne rien faire. On fut tous d'accord pour repartir assez tôt et faire le tour à la voile avant de rentrer au port. Cela pouvait signifier qu'on ferait la course pour le retour.
L'île était basse longue, orientée plein sud-ouest au soleil, étendue du nord-est au sud-ouest.
Cette belle plage étant située de l'autre côté d'où nous nous trouvions, de ce côté de l'île, un chapelet de granit ou vivaient des arbres rabougris, usés, poussés, ployés par les vents, brulés par le sel, résistaient à tous ces harcèlements permanents, ailleurs et partout une herbe basse fouettait l'air ou que l'air fouettait, recouvrait tout le sol. C'était la fin de vie de fières montagnes qui se dressaient ici-même il y a des millions d'années.
Le vieux sentier était étroit, enfoncé, la terre noire avec du sable et les différentes racines de la végétation formaient un tout, incroyablement solide et souple. On passa devant le calvaire.
Faite de galets de granit, la pointe nord de l'île disparaissait progressivement dans la mer. De cette pointe on distinguait très bien d'autres îles plates un peu plus loin, on y était déjà allé et on irait surement encore mais elles n'offraient aucune protection, ni pour les bateaux ni pour nous, elles étaient plates.
Les caravelles allaient dans cette direction et semblaient aller à bonne allure. Elles étaient bâbord amure toutes les deux et se suivaient, on pouvait être certain qu'elles faisaient la course.
Passée cette pointe, la grande plage de sable commençait et s'étalait jusqu'à l'autre extrémité de l'île. Elle était vraiment belle et vierge de toute trace de pas, on n'apercevait que quelques mouettes, de toutes petites vagues venaient mourir et lissaient le sable. Cette plage, ce ciel bleu et au loin la côte du continent formaient un joli paysage dont nous nous délections. Les voiliers étaient partis et tout nous apparaissait vierge de toute vie, nous étions des robinsons. De petites risées et un léger vent donnaient la vie à la mer. On longea la plage sans s'amuser comme nous aurions dû le faire, on ne voulait sans doute pas réveiller ce qui la maintenait si belle. On savait qu'en période de tempête, il était impossible d'être là où nous nous trouvions parce que la mer déchainée, les vagues et le vent attaquaient ensemble la plage qui jusque-là leur avait résisté, rien d'autre que le sable était à demeure. On pouvait voir quelques coquillages, malheureusement également du plastique, des morceaux de filets en décomposition. On ne disait rien, on a toujours vu nos pères tout jeter à la mer, bois, plastique, poubelles, peinture, verre, tout sans le moindre scrupule comme il leur était normal de respirer, il leur était normal de tout jeter par-dessus bord. Cette belle plage vierge ne l'était pas autant qu'il nous l'avait semblée.
Rien ni personne n'est venu nous déranger, à l'autre extrémité de l'île, la pointe sud-ouest, la plage et le sable disparaissaient doucement et très loin dans la mer. C'est ce qui rendait les parages dangereux pour la navigation, les échouages étaient nombreux malgré le balisage et c'est une des raisons qui faisaient que les rares plaisanciers restaient de ce côté.
Après avoir rejoint les autres, on se prépara pour le retour. Yffic monta avec Kerpri sur Pen ar bed, on remonta toutes les affaires et on ne laissa rien derrière nous contrairement aux habitudes de nos pères que nous jugions sévèrement. Les caravelles étaient de retour.
Qui rentre avec les barques ? Demanda Drev.
Les voiliers feraient le tour de l'île, les barques trop lentes, rentreraient par le même chemin qu'à l'aller, il est beaucoup plus court et dans le meilleur des cas, il leurs faudrait la journée pour faire le tour avec les vent et courants favorables. On le savait, bientôt les rôles en place, chacun prit sa route, on se retrouverait à la cardinale nord ou un peu plus loin.
Sans qu'il n'y paraisse mais chacun s'y préparait, Riri et son frère montèrent ensemble et partirent sans attendre et sans rien dire. Le signal était donné. Une course s'était engagée entre les barques et les voiliers, les unes rentraient avec force et lenteur les autres avec légèreté et rapidité mais les voiliers avaient une distance bien plus grande à parcourir, tout dépendrait du vent de l'autre côté de l'île.
Une caravelle était déjà hors de vue quand Pen ar bed prit de l'erre. Pour ces voileux une course est une course et rien ne saurait venir leur faire perdre du temps.
Les barques avançaient lentement mais elles avançaient bien tout de même et sans baisser les bras, si le vent n'était pas là, on se ferait battre à plate couture.
On prit notre allure dès qu'on eut franchi la pointe nord est de l'île mais la première caravelle était déjà hors de portée et la seconde à chaque instant nous distançait un peu plus. La petite brise thermique du soir nous fit aller à bonne allure mais on vit de loin les barques et la première caravelle qui semblaient arriver en même temps. Notre confort nous alourdissait mais cela nous convenait parfaitement. On arriva bon dernier sans aucun regret.
Après avoir pris le corps mort et tout rangé à bord on se retrouva tous sur le quai ou chacun racontait sa performance, la rendant bien meilleure que celles des autres. On se quittait ensuite en se promettant d'y retourner dès que possible.

La plupart des navires de cette flotte sont aujourd'hui disparus mais lors de mon dernier carénage, Pen ar bed était sur la cale au sec et je m'appliquais à mettre mon antifouling avant que la marée ne remonte. Une personne s'est dirigée vers nous, elle s'est présentée, Philippe x, puis m'a demandée si c'était bien Pen ar bed ce à quoi j'ai répondu par l'affirmatif. Il m'a appris le décès de l'ancien propriétaire à qui je l'avais acheté en 2003 et avec le fils duquel il avait très souvent navigué et toute une bande d'amis, pendant leur enfance.
A n'en pas douter, c'était beaucoup d'émotion et de nombreux très bons souvenirs d'adolescence qui devaient le submerger.
Construit en 1967, je lui ai dit qu'il avait fallu le rénover en 2011, cockpit roof et pont. J'aurais aimé l'écouter encore et encore, en connaitre beaucoup plus, Il venait de faire l'union entre avant et maintenant, il me révélait en quelques mots une partie de la jeunesse de Pen ar bed ce qui à mes yeux lui donnait toute sa valeur.
Après quelques échanges et avant de nous quitter, souriant, les yeux emplis de conviction et d'émotions à peine dissimulées, il ajouta :
Pen ar bed était comme notre navire amiral.


FIN